Interview Nil Bosca : « À 17 ans, je me posais un tas de questions existentielles auxquelles l’école n’apportait aucune réponse »

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Publié le 09-11-2023

En bref

  • Dans sa pièce « Euphrate », Nil Bosca se replonge dans son année de terminale. À 17 ans, la jeune Franco-Turque ne rentrait pas dans le moule du système scolaire et se sentait incapable de choisir un futur métier. Dix-huit ans plus tard, du 6 au 18 novembre 2023, la comédienne revient sur ce moment charnière au théâtre de la Cité internationale à Paris.
Crédit : Arthur Hervé-Lenhardt

Nil, c’est le nom d’un fleuve. Nil, c’est aussi le nom d’une jeune comédienne et autrice. Et comme ce fleuve, la Franco-Turque a traversé les années, de ses 17 ans à l’âge adulte, à la quête de son avenir professionnel et surtout d’elle-même. En découle une pièce, intitulée « Euphrate », qui mêle histoire personnelle et fiction.

Lorsque j’ai commencé à imaginer la pièce, j’avais l'idée de raconter l’histoire d’une jeune fille, de son adolescence à l'âge adulte. Pendant longtemps, je ne souhaitais pas raconter ma propre histoire, j’avais encore trop de pudeur pour réellement accepter de parler de moi. Seulement mes amis, à qui je faisais lire le texte, m’ont rapidement dit : « Il faut que tu lâches cette idée : Euphrate, c’est aussi toi ! ». Et à partir de là, j’ai pu donner vie à cet alter ego. J’ai compris que je pouvais apprivoiser des éléments de ma biographie, tout en créant une fiction autour. Nil est devenue Euphrate, mon nom de famille Bosca est devenu Tosca…

J’étais assez… agitée. C’est un point commun que je partage avec Euphrate. Malgré ma bonne volonté, je rencontrais beaucoup de difficultés à me concentrer et à entrer dans la rigidité du cadre. C’était compliqué de rester toute la journée assise à écouter sur une chaise ! J’aspirais à autre chose. J’aurais pu quitter l’école et tracer ma route, mais à cet âge-là, je devais être particulièrement sensible aux pressions et injonctions venant du milieu social et familial : avoir de bonnes notes, valider un diplôme...

Je me posais un tas de questions existentielles auxquelles l’école n’apportait pas de réponse. Comment faire pour apprendre à vivre ? Les cours abordaient des notions théoriques, mais rien qui touche aux émotions et au lien entre le corps et l’esprit… J’avais besoin de sens. Comme je ne savais pas ce que je souhaitais faire plus tard, je me suis dirigée vers la filière scientifique, car à l’époque, on me disait que c’était la seule voie qui permettait d’ouvrir toutes les portes. Ce n’était pourtant pas ce qui me correspondait.

Ma famille s’est montrée compréhensive même si, au départ, ils ne comprenaient pas ce choix. Pourquoi, après huit années d’études dans différentes filières, et après avoir finalement obtenu un diplôme de psychologue, je souhaitais faire autre chose ? Pour eux, c’était impensable. Mais, à ce moment-là, mon corps trahissait un vrai malaise parce que je n’étais pas à ma place : souvent lors des examens je perdais mes moyens et ne me reconnaissais plus. En quête d’une passion, j’ai décidé de m’inscrire à un cours de théâtre et ça a été une révélation. Si j’étais toujours angoissée à l’idée de monter sur scène, le théâtre m’a apporté une intensité, une incarnation que je cherchais depuis le début. Quelle joie !

Afife Jale est connue comme étant la première femme musulmane à être devenue actrice en Turquie, autour des années 1920. Pour moi, c’est avant tout le symbole d’une femme émancipée et inspirante, qui est devenue source d’espoir pour beaucoup d’autres. Dans la pièce, Euphrate la découvre dans un musée à Istanbul. Mais ce n’est que des années plus tard, lorsqu’elle va devenir comédienne, qu’elle comprendra l’importance de cette figure sur son propre parcours. À travers elle, je souhaitais inviter à chercher des modèles féminins, car leur présence est trop rare dans la construction des jeunes filles.

Que ce n’est pas si mal, finalement, d’être un chameau ! Souvent, les chameaux idéalisent les chevaux car ils ne réalisent pas qu’ils possèdent une véritable force… Mais en pleine course, au lieu de courir sans réfléchir, ils s’arrêtent, broutent l’herbe, admirent le paysage… La singularité de leur différence apporte quelque chose d’essentiel. Le système scolaire basé sur la notation compare souvent les chevaux et les chameaux, toujours au bénéfice des premiers. Peut-être que si l’on acceptait que certains ne sont pas faits pour entrer dans le moule du « bon cheval », le monde se porterait mieux, non ?

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