Interview Grossophobie et discrimination à l’embauche : comment y faire face ?
En bref
- Une candidate en surpoids à qui on refuse un poste de vendeuse au motif qu’elle risquerait de nuire à l’image de la marque, un candidat obèse qui décroche deux fois moins d’entretiens d’embauche, une entreprise dont l'uniforme professionnel ne va pas au-delà de la taille 42… Si le code du travail interdit tout traitement défavorable fondé sur l’apparence physique, dans les faits, le milieu professionnel n’échappe pas à la grossophobie, selon Jean-François Amadieu, professeur de gestion et directeur de l’Observatoire des discriminations. Interview.
L’apparence physique est le deuxième critère cité parmi les discriminations perçues par les demandeurs d’emploi interrogés, selon une étude de l’OIT et du Défenseur des droits. Sur ce critère, l’obésité et le surpoids figurent parmi les premières causes de discrimination.
Comment les discriminations liées au poids peuvent se manifester dans le monde du travail ?
Jean-François Amadieu, professeur à l'université Paris 1 Panthéon et directeur de l’Observatoire des discriminations : " Depuis plusieurs années, il y a une valorisation des physiques plutôt minces qui sont considérés comme attirants, en particulier chez les plus jeunes. En parallèle, il y a des préjugés liés à l’obésité et au surpoids. Lors d'un recrutement, les employeurs peuvent avoir tendance à penser d'une personne en surpoids ou obèse, qu'« elle ne fait pas de sport, elle mange mal donc c'est de sa faute », qu'« elle est en mauvaise santé », qu'« elle ne se discipline pas »… Certains employeurs vont refuser d'embaucher des personnes obèses, car ils recherchent un personnel qu'ils considèrent en mesure de "séduire" la clientèle, en résumé : jeune et beau.
Plusieurs études ont déjà été menées sur le sujet. Avec mon équipe, nous avons fait des tests en envoyant des CV avec photos. Les résultats sont variables selon le type d'emploi et s'il est en contact avec la clientèle. Par exemple, dans la restauration rapide, un candidat mince a trois fois plus de chance d'être embauché qu'un candidat en surpoids. A compétences égales, pour un poste dans l'accueil, une candidate en surpoids a six fois moins de chance. Les principales victimes de ces discriminations sont les femmes. L'apparence physique va également avoir une influence sur l'évolution de la carrière et sur le salaire, créant ainsi des écarts équivalents à une ou deux années d'études."
Focus
En France, près de 80 universités sont dotées de cellules de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dont celle d'Angers : "Depuis la rentrée 2019, nous avons voulu élargir le spectre de cette cellule à toutes les violences et discriminations explique Isabelle Richard, 1ere vice-présidente de l’université et en charge de l’égalité. Face à des comportements discriminants, notamment grossophobes, les étudiants et étudiantes peuvent saisir la cellule d’écoute via une adresse mail unique. En complément, une commission égalité a pour objectif de traiter les questions collectives."
Pour savoir si une cellule existe dans votre université, renseignez-vous auprès du secrétariat de votre établissement.
Emploi, stage, job étudiant : une entreprise a-t-elle le droit de recruter selon des critères physiques ?
Jean-François Amadieu : "En 2001, la loi relative à la lutte contre les discriminations a ajouté à la liste des discriminations interdites, l’apparence physique. Sur ce critère, l’obésité et le surpoids figurent parmi les premières causes de discrimination. Beaucoup de recruteurs n'en sont pas conscients, le poids est l'une des dernières discriminations qui soit encore considérée comme admissible. Or, une entreprise n’a pas le droit de fixer ses propres critères, y compris pour un job d’hôte ou d’hôtesse dans l'événementiel. Pourtant, sur leur site de recrutement, les agences demandent systématiquement des photos en pied du candidat ainsi que ses mensurations. Si la loi permet de tenir compte de ces critères pour embaucher un acteur ou un mannequin par exemple, cela n'est pas autorisé pour un poste de vendeur·euse, serveur·euse ou encore d'hôte·sse d’accueil."
Discriminations liées au poids : qu’est-ce qui pourrait faire changer les choses?
Jean-François Amadieu : "Jusqu'à encore récemment, le sujet était peu traité. S'il a pu sortir de l'oubli, c'est parce qu'il a aussi été porté par une partie du mouvement féministe ainsi que des militants LGBT. Jusqu'ici, on a beaucoup laissé faire les entreprises. Je suis pour le CV anonyme, je préfèrerais que les photos soient interdites et que l'on recrute sur les compétences.
Beaucoup de recruteurs considèrent que, lors d'un entretien de recrutement, la rencontre est importante. Mais en réalité, lorsque l'on est face à quelqu’un, cela biaise et fausse les jugements. En attendant, il faut savoir que d'autres éléments de l’apparence physique peuvent contrebalancer, comme le dress code. Enfin, et heureusement, le physique, même s'il compte, n'est pas le seul critère de recrutement. Les études et le diplôme jouent également."
Grossophobie : quels sont les recours si on est victime de discriminations ?
Jean-François Amadieu : "Les gens observent des moqueries, du harcèlement, des discriminations, mais ils vont très rarement porter plainte. Quant aux réclamations auprès du Défenseur des droits, elles sont dérisoires. Pourtant, elles peuvent se faire très facilement par téléphone, par courrier ou en ligne. Il est également possible de signaler, toujours auprès du Défenseur des droits, les annonces et sites de recrutement qui sont discriminants."
Focus
Toute personne qui s'estimerait victime de discrimination dans les domaines suivants : l'emploi (privé et public), l'accès à la protection sociale, à la santé, aux avantages sociaux, à l'éducation, et l'accès aux biens et services comme le logement, les loisirs, le crédit... peut saisir le Défenseur des droits.